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Chasselas raconté à mes petits enfants

Comment on occupait les enfants...

mardi 8 mai 2012, par Paule Vermylen-Milamant

Je dois vous dire que fut un temps, à Chasselas, on comptait plus de chèvres que d’habitants. L’été, faute de prés à pâturer, il fallait les conduire par les sentiers du mont Archez où elles broutaient ronces, buissons et herbes parfumées. C’était une occupation de femmes, de veuves le plus souvent. Elles tricotaient tout en marchant. J’aimais, m’échappant à l’ennui d’une place accablée de chaleur, accompagner ma voisine et goûter avec les chèvres les joies d’une liberté surveillée. La débroussailleuse n’était alors pas nécessaire, les chèvres et leur langue râpeuse se chargeaient bien de nettoyer murets et fossés et d’élaguer buissons et frondaisons, en retour leur lait donnait des « bicotins » chargés de toutes les saveurs de l’été.

J’ignorais alors que sur ce mont on avait découvert des traces de sauriens. Dommage, j’aurais pu ajouter des dragons aux histoires que je me racontais. Dans ce sous-bois humide et frais à souhait, je découvrais avec émoi une fraise esseulée, je disputais aux chèvres les premières mûres... C’était un merveilleux terrain d’aventures, un monde enchanté. Dans les carrières abandonnées je croyais encore entendre résonner le chant de l’enclume et les coups des carriers. Entre les pans de murs d’une maison de charbonnier, je voyais se glisser la fée du logis qui l’avait habitée. Et dans les recoins sombres et feuillus les sorcières aux aguets...

A la fontaine aux Vernes qui délimite Cenves et Chasselas, j’aimais arriver avant que les chèvres n’aient troublé l’eau de leurs sabots et puiser dans mes mains réunies en godet, une eau parfumée de la menthe qui croît à proximité.

Le pont des clefs, on ne l’atteignait jamais, son mystère pour moi demeure entier. Ce pont je le situais à la limite de l’interdit. Un passage vers une région inconnue dont la clef s’était perdue.