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Histoire de forge et de morions ...
de Périgneux à Chasselas.
jeudi 17 mai 2018, par

Hier, dans la salle Bourgogne de la commune de Vinzelles, Vinzellois et Vinzelloises étaient invités à exposer leurs travaux de création, leurs collections.
Que les visiteurs ne soient pas très nombreux n’était pas gênant, bien au contraire, cela permettait aux exposants d’expliquer leur technique de travail, leur passion pour la poterie, la peinture..etc ...
Dans ce contexte, avec le sentiment de ne gêner personne, je m’attardais devant un stand de vieux outils dont, pour certains, j’ignorais l’usage mais dont je reconnaissais qu’ils avaient été forgés à la main : des pics, des râteaux, des pioches, des mors, des cognées...
– En moi se réveillait la mémoire de la petite fille qui avait , fascinée par le travail du forgeron frappant le fer rouge, regarder travailler son père à la forge. Je le voyais activer le soufflet, plonger le morceau de fer dans les braises rouges, le retirer, le poser sur l’enclume où il le battait avec une masse. J’entends encore le sifflement du fer rouge trempé dans l’eau...
_" La trempe", c’est ça qui fait la qualité de l’outil disait mon père, et Il était réputé pour la qualité et le tranchant de ses cognées, de ses haches.
A Chasselas, il avait installé sa forge dans l’ancien fournil du grand-père maternel.
Autrefois, il avait été forgeron taillandier dans les carrières. A Périgneux, avant la guerre, il aidait son père qui était forgeron et quincaillier pour les travaux qui nécessitaient de frapper à deux. Mais à Chasselas la forge ne pouvait pas nourrir son homme. A ma mère le commerce : café-épicerie, à lui le travail des vignes ; forger n’était plus son occupation principale. Il ne forgeait plus guère que les jours de pluie. Il aimait son métier. Seulement voilà, les jours de pluie, les vignerons non plus ne pouvaient se rendre dans les vignes alors ils venaient voir travailler le forgeron. Regarder leur copain travailler et transpirer ne tardait guère à leur donner soif, ils commandaient alors qu’on leur servît à la forge le pot qu’en d’autres circonstances ils auraient bu au café. De pot en pot, ils ne prêtaient plus attention à l’endroit où ils reposaient leur verre et il est arrivé à mon père de retrouver des verres sur l’enclume au moment où il s’apprêtait à y déposer l’outil qu’il retirait du feu.
Mon père buvait certes, mais pas quand il travaillait, il se rattrapait après...
De la forge de mon père il n’est resté que l’enclume. Les outils se sont volatilisés au gré des prêts à fonds perdu. Sait-on jamais... si parmi les outils exposés sur ce stand j’en retrouvais un avec son estampille ? J’essaye de déchiffrer... sur une des cognées je crois dans les trois premières lettres reconnaître un M, un I, un L, ... la suite est vraiment trop illisible et me paraît un peu longue pour représenter les cinq lettres d’AMANT même si je lui mets deux L.
Mon regard se reporte alors sur une pince qui voisine avec quelques petits morceaux de fil de métal aux pointes repliées, ce ne sont pourtant pas des cavaliers pour fixer les barbelés des clôtures ? S’ils étaient moins droits je dirais qu’ils ressemblent à des morions !
Les "morions", ces petits crochets en forme de C plus ou moins cintré aux deux bouts pointus que l’on mettait sur le groin du cochon afin de lui couper l’envie de fouiller dans la terre et de tout retourner de son museau curieux.
Mon grand-père forgeron était revenu de la guerre 14-18 très malade. Un problème pulmonaire l’a longtemps retenu à la maison. Dans l’impossibilité de travailler à la forge il a conçu et dessiné pendant ce repos forcé le projet d’une machine à faire les morions. Jusque là, comme quincaillier il vendait les morions et sans doute les pinces qui servaient à couper et courber les morceaux de fil de laiton.
Ayant récupéré ses forces mon grand-père entreprit de forger son outillage et de fabriquer ses machines. Pour autant que je me souvienne, toute la famille pouvait se retrouver à travailler sur ces machines installées dans le rez-de-chaussée de la maison. Dans la première machine le grand-père introduisait le bout du rouleau du fil de laiton qui glissait sur un support muni d’un arrêt ajusté au gabarit du fil à couper. D’un coup sec il abattait le couperet et le morceau de fil de fer tombait dans un baquet d’où on le récupérait pour le placer manuellement sur la seconde machine, bien calé sur deux supports entre lesquels on abattait la manette qui lui donnait sa forme. Le morion tombait, fini, prêt à l’emploi dans un autre baquet. Morions qu’un grossiste de Saint Bonnet le Château lui achetait au poids.
Ce sont ces morions qui ont complémenté sa maigre retraite d’artisan. Quant à la fin de sa vie il n’eut plus la force d’actionner les machines qu’à son grand regret il n’avait pas eu l’occasion d’électrifier, il les a détruites. Pas de fils*, personne dans sa descendance pour prendre la relève.
Le collectionneur de vieux outils remarquant mon intérêt pour ses pièces s’approche, prend une pince, un des morceaux de fil de laiton aux bouts pointus le place dans la pince et m’explique :
– "C’est la pince à cochon, elle sert à courber l’agrafe, autrefois chaque famille avait un cochon, pour l’empêcher de faire des trous dans la terre on lui mettait ces anneaux dans le nez."
Ton invention grand-père n’était pas arrivée jusqu’à Vinzelles.
03/02/14
Paule Milamant
_*Mes parents étaient venus s’installer à CHasselas.